Guerre de 6 jours à Kisangani : « J’étais là et les traumatismes restent intacts »

Article : Guerre de 6 jours à Kisangani : « J’étais là et les traumatismes restent intacts »
Crédit: © Oasisk, Creative Commons CC-BY-2.5, via Wikimedia
9 juin 2020

Guerre de 6 jours à Kisangani : « J’étais là et les traumatismes restent intacts »

Cimetière-Mémorial-Guerre-des-Six-Jours-à-Kisangani
Cimetière Mémorial de la Guerre des Six Jours de 2000, © Oasisk, Creative Commons CC-BY-2.5, via Wikimedia

Il a fallu 6 jours pour que le crépitement de l’artillerie puisse se ravaler. Les forces rwandaises et ougandaises, qui soutenaient chacune un groupe rebelle congolais s’étaient battues du 5 au 10 juin 2000 à Kisangani. Cette ville du nord-est de la République Démocratique du Congo garde encore les souvenirs intacts.

Depuis le 5 juin 2020 dernier, plusieurs victimes de ces exactions ont lancé sur les réseaux sociaux, comme chaque année, des hashtags #JoubliePas et #Kisangani6Jours pour dénoncer ce crime exécrable.

Comme beaucoup d’autres victimes, Chris Elongo, aujourd’hui journaliste, nous fait part des contrecoups fâcheux qu’il garde de ce conflit armé qui a emporté pas moins de 1000 vies humaines. Natif de Kisangani, il n’avait que 17 ans.

« J’étais là et les traumatismes restent intacts »

Sous cette pluie d’obus et des mortiers, ce garçon de 17 ans revoit encore les images de ce 5 juin 2000 comme si c’était hier. « J’étais là et les traumatismes restent intacts… j’imagine mon parcours personnel et l’envie de toujours partir, toujours partir comme pour fuir », se souvient-il.

Chris Elongo, © C.E.

Alors qu’il se préparait pour aller à l’Institut de Kisangani ex-Athénée Royal, l’école qu’il fréquentait, les deux armées ont commencé les affrontements. C’était selon lui vers 9h.

Quatre bombe tombent à côté de chez eux. « Les Ougandais (Qui soutenaient Bemba) sont arrivés derrière notre maison 30 minutes juste après le début des affrontements… » Dans cet embrouillamini, l’armée ougandaise les oblige de partir.  Pendant ce temps, dans le quartier d’en face, « les Rwandais (Avec Ruberwa) étaient déjà en position de tirs ». Sous cette pluie des rafales, ils étaient parmi les derniers à partir pour le centre Kimbanguiste Saïo.

Partir ou mourir

En fait, la mort était à deux doigts du nez. « Les Ougandais (avec Bemba) bombardaient le centre ville et les Rwandais (avec Ruberwa) renvoyaient vers le plateau Boyoma mon quartier ».

« Personne n’ecrira cette histoire a notre place »

Alesh

« Une fois traverser la clôture de l’église Kimbanguistes nous étions arrivé à l’école Saïo. Déjà un mort. Un jeune homme de 16 ans à l’époque qui était, selon sa cousine qui pleurait à côté, le fils unique de sa famille. Je revois encore le visage du jeune homme ensanglanté et les autres élèves traumatisés », poursuit Chris. Il fallait à nouveau quitter ce lieu pour le centre Kimbanguiste qui était à quelques mètres. Ils ont dû abandonner le corps sans vie de ce garçon qui aurait eu 36 ans cette année.

Deuxième jour d’angoisse à Kisangani

Le 6 juin, « une nuit sans sommeil et un matin sans chant d’oiseau. Une tristesse [visible, NDLR] sur les visages de tout le monde ». Dans le centre Kimbanguiste Saïo, pas de nourriture, pas d’eau. Chacun avait droit d’un demi verre par jour. Chris Elongo a encore l’image de sa mère qui souffrait énormément des douleurs thoraciques commencer à dépérir. « Je vous jure, il ya rien de pire au monde que de voir sa maman tordue de douleurs et d’avoir l’impression d’être inapte à la situation ». Triste.

La mort de son ami Séraphin

L’armée Ougandaise commençait les exactions et les pillages sur les civils du plateaux Boyoma. De l’autre côté du front, les Rwandais qui gagnaient de plus en plus le terrain, considéraient tout les habitants du quartier comme des complices des Ougandais.

le jour semblait très long et la nuit où il y avait moins de bombardement semblait trop courte

Chris Elongo

C’est dans ce quiproquo qu’ils arrivent devant la maison de Séraphin, l’ami de Chris. « Ils ont demandé qu’ils ouvrent la porte et ils ont tirés dans la tête de mon ami d’enfance, 20 ans après Seraphin aurait eu mon âge cette année », raconte-t-il. Personne ne l’a informé de la mort de son ami d’enfance.

Pour eux, « le jour semblait très long et la nuit où il y avait moins de bombardement semblait trop courte ». Une bombe pouvait tomber à tout moment sur le hangar du centre Kimbanguiste où ils étaient en sanglot.

Dans la matinée du 7 juin, alors que la pénurie d’eau s’installait, un obus explosa dans le centre. Il fallait partir le plus vite possible car les Rwandais n’étaient plus loin.

Sur la grande route de Banalia, l’horreur était au rendez-vous. « Les corps des civils partout, les gens tombaient encore et encore…les balles sifflaient encore et encore ».

Après quelques Km de marche, ils ont retrouvé la famille de Séraphin qui avait traversée le pont la veille. C’est en ce moment là que la bombe éclata dans son cœur. « Séraphin est mort d’une balle dans la tête », lui ont-ils confié. Il a été enterré dans la parcelle familiale. Imaginez cet instant et tirez des conclusions.

Bref, « les 4e et 5e jours étaient des jours d’interrogation », après trois journées entières de peur où ils flirtaient avec la mort. De l’autre côté de la rivière Tshopo, ils observaient leur ville, leur Kisangani, se transformer en champ de bataille des forces étrangères.

#JOUBLIEPAS #Kisangani6jours 20ans sans justice Le 4em et le 5em jours étaient des jours d'interrogations après…

Publiée par Chris Elongo Selemani sur Lundi 8 juin 2020

20 ans après : aucune indemnisation

Ce déluge de feu fut tout simplement terrifiant. Plus de 1 000 personnes tués par balles, environ 3 000 blessés, plusieurs personnes déplacées, dont Chris Elongo, de bâtiments détruits (des centaines)…

Le 19 décembre 2005, un arrêt rendu par la Cour internationale de justice (CIJ) condamne l’Ouganda à payer une indemnité. Dans l’entre-temps, les familles des victimes ont le sentiment que rien n’a été fait concrètement. Le Rwanda, lui, n’a pas été poursuivi car n’ayant pas accepté les compétences de la Cour pour ses ressortissants.

Carte-guerre-congo
Map of Second Congo War, 2001-2003, © Dn-kun, Uwe Dedering

Toutefois, l’affaire est menée dans une certaine opacité. Les nouvelles autorités de Kinshasa ne montrent jusqu’alors pas qu’ils tiennent vraiment à récupérer les 10 milliards de dollars de réparation des atrocités de Kisangani. 20 ans plus tard, aucun versement ougandais n’ayant encore été effectué.

Neanmoins, comme le dit Alesh, un autre rescapé, « Personne n’ecrira cette histoire a notre place ». Il fallait donc qu’on y revienne encore et encore, jusqu’à ce que justice soit faite. Merci à toi Chris Elongo pour nous avoir permis de reproduire ce récit.

Partagez

Commentaires

luz
Répondre

Pathétique ! « Personne n’ecrira cette histoire a [votre) place » faites-en autant que possible